LES NOUVELLES CALEDONIENNES DU 24/04/09

Publié le par le président





Le débat rebondit autour de l’amiante
Mercredi, l’Association de défense des victimes de l’amiante en Nouvelle-Calédonie (Adeva-NC) tenait une conférence-débat sur les risques liés au minerai. En quelques heures, tous les enjeux mortels ont été abordés.

Il y a deux façons d’aborder les dangers de l’amiante, qu’il soit environnemental ou industriel.
La première est celle du principe de précaution et de l’action immédiate : l’amiante tue, donc il faut prendre des mesures de protection urgentes, quitte à bousculer les contraintes administratives et budgétaires. Cette philosophie s’est imposée en France métropolitaine, après des décennies d’action associative et quelques procès pénaux.
La seconde manière d’envisager le problème se veut moins alarmiste. Il s’agit d’abord de s’organiser, de peser les risques avec précision, et d’adapter tout cela aux moyens disponibles. Cette position est partagée par plusieurs pays, comme le Canada... ou la Calédonie.
Ces deux points de vue se sont affrontés avec vivacité, mercredi après-midi, au cours du passionnant débat organisé par l’Adeva-NC. D’un côté, le docteur Lucien Privet, spécialiste des maladies professionnelles, soutenu par une salle composée essentiellement de malades de l’amiante. De l’autre, des représentants de la Ddass-NC, qui ont tenté de défendre leur action en la matière, qui a véritablement débuté en 2007. Et un médecin du travail, qui n’a pas souhaité donner son nom mais qui défendait une position « réaliste, moins idéologique ».
Alors, la Calédonie en fait-elle assez, elle qui élimine les maisons en pô (un isolant à base de terre amiantifère) onze ans après avoir découvert leur dangerosité ? Elle qui interdit l’amiante industriel dix ans après la Métropole, mais n’impose pas de diagnostic avant démolition ? Elle qui n’a pas encore réalisé de carte des sols contenant de l’amiante, alors que la recommandation date de 2004 ?
En voyant une photo de la géographe Marie-Anne Houchot, qui montre un enfant jouant dans de la terre naturellement amiantée, Lucien Privet a soudain bondi. Puis rebondi, quand on lui a expliqué que rien n’a été fait sur place, mais que, globalement, les travaux avancent.

« Cette gamine, c’est la mort annoncée dans trente ans ! »

« Enfin, on peut tout de même prendre deux camions et recouvrir ça de terre végétale... », souffle-t-il, avant d’être contredit par le médecin du travail anonyme. «
C’est une solution, mais vous ne pouvez pas venir avec vos gros sabots, surtout dans les milieux coutumiers...
- Attendez : cette gamine, c’est la mort annoncée dans trente ans !
- On laisse bien nos enfants fumer... L’amiante environnemental, ça fait seulement quinze ans qu’on en parle ici. Il faut du temps. On y travaille.
- On reviendra dans cinq ans, vous direz “on y travaille”, et elle jouera toujours au même endroit. C’est indéfendable.
»
Côté Ddass, on convient que « du retard a été pris » dans les années 1990-2007, quand les premières études ont donné l’alarme, mais « on ne peut pas dire que rien n’est fait ».
Le débat s’enflamme, tout en restant correct. Les malades ne comprennent pas la notion « d’économie de la santé », les insinuations fusent, à base de « ma chère madame » ou de « mon pauvre monsieur, vous parlez sans savoir ».
Au bout du compte, les points de vue se rejoignent. Oui, l’amiante est dangereux et il faut agir. Prioritairement, ou après les autres chantiers (diabète, accidents de la route...) ? Les invectives repartent. Pendant ce temps, l’amiante fait 30 morts par an en Nouvelle-Calédonie, selon le décompte de l’Adeva-NC.

Marc Baltzer 
« Il y a encore une énorme passivité »
Questions à... Lucien Privet, spécialiste des maladies profesionnelles.

Les Nouvelles calédoniennes : Comment décririez-vous la problématique de l’amiante en Nouvelle-Calédonie ?
Docteur Privet :
Je ne connaissais que l’histoire des cases en pô. Depuis, je me suis rendu compte que le problème comportait quatre aspects. Deux appartiennent au passé, les deux autres sont des problèmes d’avenir. Le passé, c’est l’utilisation de l’amiante dans les constructions et dans les process industriels (outillage, fours, etc.). Tout cela disparaîtra peu à peu [avec l’interdiction de l’utilisation d’amiante industriel, votée en 2008]. En revanche, le problème de l’affleurement d’amiante dans les villages [comme à Tando, Ouégoa, Houaïlou, Hienghène...] est un chantier d’avenir. Il faut protéger rapidement les personnes exposées. Les travaux publics appartiennent aussi à l’avenir : chaque fois qu’on fait une route, ici, il y a un risque.
On sait aussi que l’amiante est présent dans le minerai de nickel, même si ça a eu du mal  à passer auprès des industriels, qui ont dû être contents que les autorités se fixent d’abord
sur le pô.

Comment jugez-vous l’action des pouvoirs publics locaux ?
Il semble qu’on commence à faire des choses. Mais quand je vois cette photo d’une enfant qui joue dans de la terre blanche... Si je montrais ça en Métropole, les gens deviendraient fous et parleraient de crime. Et quand j’apprends que les travailleurs exposés, comme à la SLN, par exemple, n’ont pas droit à un scanner systématique, je me dis qu’il y a encore une énorme passivité par rapport à la gravité du problème. Il y a des choses qu’on doit traiter maintenant.

Les maladies professionnelles posent un problème économique. Personne ne sait encore qui va indemniser les victimes, par exemple. Est-ce un schéma classique ?
C’est toujours pareil. Les employeurs, les entreprises freinent au maximum. Quelquefois, ils ont la chance d’être soutenus par des médecins du travail complices, cela est arrivé souvent, il y a eu des condamnations. Et les politiques sont emmerdés. Ils ne font rien tant que les gens ne sont pas dans la rue.
Pourtant, tout est là. Il y a des études, des rapports. Ici, vous avez le rapport de 2007, avec toutes les recommandations.
S’ils les suivent, c’est bon.

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